Les
Marches
du Pouvoir
Les MARCHES DU POUVOIR est un modèle de mise en mouvement, conceptualisé en 2020 qui propose, face aux défis systémiques, de dépasser le clivage individuel / collectif pour repenser notre potentiel de transformation à travers le lien engagement / émancipation.
J'ai créé ce modèle à partir d'une réflexion transversale entre les notions de "pouvoir" et "d'organisation sociale" telles que proposées dans la philosophie politique de Hobbes (phénoménologie du pouvoir), les techniques du théâtre de l’opprimé d’Augusto Boal et la méthode d’accompagnement des “4 marches du pouvoir citoyen” d’Alinsky.
C’est une vision organique qui permet d'évoquer l’alternance entre des modes d’action : personnel et participatif, des "qualités": autonomie et responsabilité et des "rôles" : mobilisateurice, acteurice et facilitateurice... dans l'idée de centrer le focus sur la qualité des LIENS qui, s'exerçant entre "individuel et collectif "nous nourrissent et nous emmènent vers plus de pouvoir d'agir.

Au printemps 2024, j'ai intégré les Marches à un modèle plus large : LA COURBE DU RÉCIT qui propose, en intégrant le travail de Paul Chefurka de visibiliser dans un contexte d’inégalités sociales et de rapports de forces, le possible chemin d’une prise de conscience sur le réel se transformant en prise de pouvoir sur celui-ci, ou comment passer d'une culture qui nous façonne à une culture que nous façonnons.
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INTRODUCTION A
" C'est compliqué pour moi..." ---- " J'ai déjà un tas de problèmes à régler ! "
"Ici on peut pas " --- " Oui, mais c'est facile pour toi !" --- "J'ai déjà essayé mais finalement j'ai lâché l'affaire "
" J'en avais marre de me justifier" ---- " Je me sentais seul.e à faire des efforts"
"Ras le bol de me faire traité continuellement d'écolo bobo / de féministe / de ...."
"TROP... cher, loin, dur, fatiguant, long, complexe ..." ---- ETC ...
Vous aussi, vous avez déjà entendu cela ?
Tenter de faire naître une bascule chez les personnes en comptant sur leur connaissance, leur sensibilité et leur mise en action potentielle, c'est inconsciemment faire reposer les efforts de transformation sur des épaules que l'on présuppose critiques, empathiques, désireuses ET libres de changer.
Mais force est de constater qu'il ne suffit pas de sensibiliser pour faire agir, (eh non, SAVOIR n'est PAS égal à POUVOIR, on en reparle bientôt ;) car même informées, sensibles et conscientes des transformations du monde, des personnes peuvent tout à fait être dans l'incapacité à changer leurs modes de vie , voire même, si elles ont déjà changé par conviction, avoir de grandes périodes de difficulté à maintenir ces transformations.
Cela se traduisant parfois par le fameux : j' y /on y arrivera pas, en fonction de sa désillusion vis à vis de sa propre capacité d'agir ou de celle du collectif. On se sent impuissant.e.
LES 4 POSTULATS DE BASE
Alors pourquoi parler de POUVOIR ?
Evoluant dans le milieu de la culture et dans celui de la formation (notamment sur les enjeux écologiques), j'ai forgé 4 constats :
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Tout changement structurel implique un changement culturel (désiré, ou forcé)
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Le sentiment d'impuissance et/ou d'illégitimité sont très répandus et communs à tous.tes (qu'on soit hauts fonctionnaires, élu.e.s, étudiant.e.s, directeurs d’entreprises, citoyen.nes, etc...)
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SAVOIR n’est PAS POUVOIR
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La distinction entre pouvoir individuel et pouvoir collectif est non opérante pour susciter le changement. Je m’explique sur ce dernier point :
INDIVIDUEL ET COLLECTIF
Demander aux personnes ce qu'elles peuvent faire individuellement et/ou collectivement c’est les positionner de fait dans l'exercice d'un "listing" dualiste.
>>> Or je crois qu’opposer l'un à l'autre, c'est faire croire à une vrai différence de fait...
Alors que l'expérience tout comme la sociologie (le fameux débat Weber / Durkheim) nous montre que l'un se confond, se conjugue avec l'autre, est constitutif de l'autre, notamment dans le chemin qui mène vers la réalisation des fameuses actions individuelles/collectives de ce listing.
On arrive parfois au paradoxe, de devoir individuellement, grâce à son esprit critique et son courage, se libérer d'une société néolibérale reposant elle-même sur l'individualisme. (et même sur l'individualisation).
>>> Illusion d’un ordre
Dire aux participant.e.s, que les changements individuels amènent les changements collectifs est tout aussi faux/vrai que de dire que les changement collectifs provoquent les changements individuels.
Il n'y a pas de prédominance, il n'y a pas d'ordre.
Tout comme le savoir porte à l'action et l'action au savoir.
D'autant que les frontières sont très floues : une entreprise au sein d'un secteur, un arrondissement dans une ville, une espèce au sein d'un écosystème etc … peuvent être pensés comme acteurs "individuels" versus un "collectif"
>>> Donc, cette distinction est-elle efficace ?
Devoir "agir individuellement" pour changer le monde nous donne l'illusion de devoir devenir des héros et devoir "agir collectivement" pour changer le monde celle de devoir mettre tout le monde d'accord. Or on sait que l'individu est une construction sociale et que le collectif n'est jamais un groupe homogène. Il semblerait donc (si l'urgence consiste à changer), qu'un dépassement de ce dualisme puisse être la voix de création vers des chemins de transformation inexplorés où la distinction entre MOI et LES AUTRES se comprendrait comme un reflet.
LE POUVOIR
On ne peut pas ? Mais de quel POUVOIR manquons-nous, parlons-nous ?
Non pas du "POUVOIR sur", mais bien du "POUVOIR de", celui de pouvoir aligner ses actes avec ses connaissances, ses valeurs, ses pensées et ses désirs, ce qui peut être compliqué dans un monde traversé par les inégalités, les rapports de force et les oppressions.
Quand on a pas le "POUVOIR de",
c'est bien souvent qu'on exerce sur nous un "POUVOIR sur"
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Le « POUVOIR sur » , indique une domination, qui maîtrise les contraintes. J’ai le pouvoir SUR le monde. Le « POUVOIR de », indique une capacité d’agir, qui assimile la contrainte de manière créative : J’ai le pouvoir DE transformer le monde. (mais il reste irréductible à ma puissance). Alors bien sûr avoir le « POUVOIR de - faire tout ce que l’on veut » pourrait être dangereux, mais il n’existe pas, car nos désirs sont infinis et le monde lui, ne l’est pas. La réalité nous contraint. Il nous reste le choix de la dominer, ou de créer à partir d’elle.
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Le « POUVOIR de » présuppose donc une contrainte irréductible avec laquelle on construit. Avec responsabilité et intention (en distinguant nos besoins de nos désirs), le POUVOIR de nous permet alors d’être libre. D’une liberté qui n’est pas :
De faire tout ce que l’on veut, mais bien de vouloir ce que l’on fait !
Ceci étant dit, ces définitions et quelques sources en philosophie politique, m’ont emmené à formuler 4 postulats sur le pouvoir :

LES 4 POSTULATS DU POUVOIR
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Le pouvoir n’est pas bon ou mauvais, c’est toujours un rapport.
Qui peut être déséquilibré ou non. Les marches du pouvoir ce n’est pas une histoire de morale, mais bien de configuration sociale
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Pas de pouvoir sans relation.
Car, qu’il soit (sur) ou (de), le pouvoir est avant tout une histoire de posture et d’intention dans l’intéraction.
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Le pouvoir se déséquilibre avec les instruments du pouvoir : visibilité, capital et réseau.
Dans le Léviathan et son analyse du POUVOIR, le philosophe politique Thomas Hobbes, distingue les pouvoirs naturels (force physique, intelligence, rang, etc...) des pouvoirs instrumentaux (qui permettent de décupler les pouvoirs dits naturels) : Réputation, Argent et amis. La vision du philosophe a vieilli (car il n'avait pas lu Bourdieu ;), cependant j'ai développé la notion d'instruments de pouvoir en lien avec cette réflexion.
Les instruments du pouvoir sont donc :
1) La VISIBILTE = espace informationnel / d'expression disponible
2) Le CAPITAL (argent, espace, temps, moyens de production, connaissances, outils, etc....), soit tout ce qui peut être concentré / réparti ou encore mutualisé de façon plus ou moins égale selon les valeurs du groupe.
3) Le RESEAU : compris comme la capacité à mettre en lien en vue de la création d'un écosystème.
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Responsabilité, autorité et puissance, sont les prémisses du pouvoir.
Car comme pour les formes de gouvernance, il y a des formes disons de « pouvoir » du moins, de manières de faire interaction qui emmènent vers plus de pouvoir d’agir.
SAVOIR n'est PAS POUVOIR
SAVOIR : DE LA CONAISSANCE AU SAVOIR : prendre conscience
Reprenons notre COURBE DU RECIT.
Après avoir "appris" qu'il y avait un problème (ex : j'ai entendu au JT parler des activités humaines provoquant un dérèglement climatique inédit), je quitte la position confortable de celui ou celle qui "croit" (le changement actuel est normal) et commence à me questionner. Après avoir fait des fresques, vécu des expériences, passé les possibles "solutions" (techniques, économiques etc...) à l'épreuve de mon esprit critique, je "comprends" que le problème à l'échelle de notre espèce est non seulement Inédit, mais aussi Inévitable, Irréversible, Immédiat, Inégal et Injuste. Cette prise de conscience rationnelle, lorsque l'on franchit ce que j'appelle le SEUIL DES 6 i (f), nous emmène alors vers un constat difficile : Quoiqu'on fasse, le monde va changer radicalement et je dois faire le deuil d'une certaine forme de "bonheur" possible (telle qu'elle m'a été transmise par la culture dominante qui jusqu'ici influençait mes désirs.) Tout est foutu, plus rien n'a de sens. Là, c'est le chaos émotionnel. Peur, colère, tristesse. Ressentis par chacun.e d'une manière et avec une intensité qui lui est propre, souvent à la hauteur des croyances mises de côté. c'est le chemin vers l'étape SAVOIR.
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j'ai donc accédé aux connaissances > APPRENDRE
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j'ai confronté, interrogé ces connaissances > COMPRENDRE
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j'ai assimilé ces connaissances > qui deviennent un SAVOIR

SAVOIR : DE L'AUTONOMIE à LA RESPONSABILITE : accueillir ses émotions
SAVOIR est avant tout un point sensible de jonction : celui d'une prise de conscience vers une possible prise de pouvoir.
De l'autonomie à la responsabilité.
Nous sommes RESPONSABLES de notre SAVOIR.
Or nous pouvons :
1) SUBIR ce savoir : DEMISSION = ETRE SANS
Responsabilité trop lourde, qui nous écrase ou qu'on cherche à déporter. (Etape solitaire)
Les EMOTIONS (physiques, fortes), véritables alertes cognitives et sociales, que sont la peur, la colère la tristesse et le dégoût, si elles ne sont pas accueillies ou exprimées, peuvent se transformer en des SENTIMENTS (états psychologiques longs et diffus) parfois immobilisants ou contre productifs : anxiété, ressentiment ou détachement = on se sent "submergé.e.s" par le découragement : On passe de j'y crois pas à on y peut rien.. par ANTICIPATION de notre "impuissance" personnelle ou collective.
Exemples de mécanismes de défense inconscients si les émotions ne sont pas accueillies :
1) La colère peut devenir du ressentiment > on se déculpabilise
Se traduit par : "c'est pas à moi de le faire" > attentisme, triangle de l'inaction
2) Le dégoût peut provoquer du détachement > on se désolidarise
Se traduit par : "J'en ai rien à faire" > je m'en foutisme, ça va pétisme, cynisme...
3) La peur et la tristesse peuvent se transformer en éco-anxiété > on se dévalorise
Se traduit par : "J'y/on arrivera pas à le faire" > dépression, desespoir
Car oui, les émotions dites "négatives" PEUVENT A LA FOIS "pousser" à l'action ou être "immobilisantes" selon la vision qu'on possède de sa propre capacité à modifier le cours des choses. Ce n'est donc pas tant l'émotion en soi qui est en cause mais notre manière de l'accueillir/ s'en saisir SELON NOTRE HABITUS SOCIAL (celui qui nous a valorisé ou non et fait croire ou non à mon/notre pouvoir d'agir)
A noter que l'inverse n'est jamais très bon ;)
1) on surculpabilise > on se punit > LE BOURREAU
2) on se surinvestit > on se sacrifie > LA VICTIME
3) on se survalorise > on s'épuise > LE SAUVEUR
2) RÉAGIR à ce savoir : DEFENSE = ETRE CONTRE
(étape chacun son camp)
Réagie ! De manière instinctive, opérationnelle, court-termiste : Il y a un problème on cherche la solution ou le coupable.
On accepte la réalité de manière cartésienne, mais on pense qu’on peut la contrôler.
> un.e contre tous.tes : "le cavalier seul"
Le survivaliste ou l’hermite par exemple, ou encore celui qui croit tout savoir, le prophète (j’ai la solution) ou le justicier (je connais le coupable)
> Tous.tes contre un.e : "le front"
républicain, activiste, révolutionnaire, international, militaire etc...! Peu importe la lutte, l’ennemi commun fait l’alliance.
Attention, Bien sûr, c’est essentiel d’innover, de réagir et de lutter contre les destructions mais il me semble difficile à long terme de renouveler notre humanité avec pour objectif la victoire (sur).
Or nous pouvons réagir avec conscience, c’est à dire AGIR
3) AGIR en lien avec ce savoir CREATIVITE= ETRE AVEC
(étape du lien : devenir moi-même grâce aux autres)
Si on dépasse nos souffrances psychologiques, et notre envie de contrôle alors on peut AGIR (et être heureux dans l’action ;) AGIR enfin non pas pour changer le monde à notre image selon nos désirs et nos peurs, mais bien pour mondialiser le changement (travailler à l’encapacitement et l’émancipation de chacun.e) c'est ce qui me semble être le véritable "impact systémique".
Car si le problème repose sur les activités humaines,
alors ce n’est pas seulement sur « les activités » qu’il faut travailler
mais aussi sur « notre humanité ».
CONCLUSION : Alors qu'est ce que "SAVOIR?"
“Savoir, c'est d'abord avoir la conscience d'être quelqu'un, pouvoir donner une signification à ce que l'on vit, à ce que l'on fait, pouvoir s'exprimer. Savoir, c'est avoir une place dans le monde, connaître ses racines, se reconnaître d'une famille, d'un milieu. (...) Savoir, c'est comprendre ce que l'on est, ce que l'on vit, pour pouvoir le partager avec d'autres, c'est faire des expériences dont on ne sorte pas humilié, mais fier.”
Józef Wrzesiński fondateur du mouvement des droits de l'homme ATD Quart Monde.

SAVOIR : De l'AUTOFICTION à L'OBJECTIF : Formuler une intention
Pour commencer à gravir les marches du pouvoir et démarrer sa mise en mouvement, il va me falloir passer par une introspection consistant à : accueillir le constat et les émotions provoquées et chercher en moi ce que cet avenir incertain, autre, ouvert et possible ne vient pas contredire de croyance assez profonde et constitutive qui peut me donner une raison d'espérer, de me fictionner dans de nouveaux récits désirables. (dans le sens : que JE désire et que je construis, sans qu'ils me soient imposés). Cette étape d'écologie profonde et spirituelle n'est pas à négliger, elle seule peut m'éviter de SUBIR ce SAVOIR (démission) ou d'y REAGIR (défense) au lieu d'AGIR EN CONSCIENCE. (créativité). Si je trouve au fond de moi une raison d'espérer, alors je pourrai formuler une intention.
« L'espoir n'est pas la conviction que quelque chose va bien se passer,
mais la certitude que quelque chose a un sens, quelle que soit la façon dont cela se passe »
VACLAV HAVEL
Or le sens, c’est ce qui permet de nous fictionner. (C’est le principe même d’une histoire, transmettre du sens.)
D’où l’importance des récits et notamment de l’autofiction dans ce processus créatif.
LA TENTATION DE FOURNIR des "Nouveaux Récits"
Afin de ne pas rejouer l’erreur de proposer un avenir collectif subi individuellement, l'idée n'est pas de "fournir" des "nouveaux" récits, mais de partir du processus biographique de chacun.e, et d'y chercher la source désirante qui continuera d'irriguer un avenir possible, aussi différent soit-il. Pour éviter l'écueil de récits "traditionnels" de transition potentiellement clivants, excluants, édulcorés, instrumentalisés ou encore socialement situés, l'important est de se rappeler que :
Le rôle de l’imagination, c’est de libérer des potentiels
et non pas donner une vision absolue.
Le message à transmettre en atelier via la courbe du récit et les marches du pouvoir pourrait être :
Oui, tu PEUX te CONSTRUIRE une trajectoire (histoire) PERSONNELLE et HEUREUSE dans ce MONDE incertain.
Et tu trouveras du soutien pour cela :)
La perspective de pouvoir PARTAGER ma charge mentale et mes efforts dans l'optique de ME CONSTRUIRE un NOUVEAU RECIT qui me soit propre et me parle (exemple : mettre mes enfants en sécurité en ville et pouvoir aller facilement au travail, versus atténuer les émissions de CO2 des automobiles) peut alors devenir ENGAGEANTE !
LES DROITS CULTURELS (c’est à dire le droit de chacun.e d’être à l’origine de ses propres représentations) sont donc des droits sociaux fondamentaux à prendre en compte dans la construction d'une écologie sociale et solidaire.
Car accompagner quelqu’un à se projeter vers le futur, à sauter du grand plongeoir du changement vers l’inconnu, ce n’est pas le pousser ou le rassurer continuellement (ne t'inquiète pas, c’est pas haut, c’est pas froid, tout le monde y va, de toute façon tu peux pas rester là-haut…), mais c’est lui donner assez de confiance en lui pour qu’il puisse prendre lui-même son propre élan.
CONCLUSION
Faire rimer écologie avec empouvoirement, c'est faire percevoir dans ces changements la possibilité d'un mieux être psychologique et d'une émancipation / libération qui résonne directement avec les conditions sociales, le désir et la capacité d'agir quotidienne de chacun.e.
Car le plus difficile à vivre n'est pas tant,
de ne pas réussir à changer les choses,
que de se sentir illégitime ou impuissant.e à essayer de les changer.
OBJECTIF des marches : CRER UN CONTEXTE FAVORABLE
Durant ces dernières années de sensibilisation auprès de publics variés (entreprises, élu.e.s, citoyen.ne.s, étudiant.e.s, organisations professionnelles, etc...) et de théâtre forum en ville et en campagne, je me suis vite rendue compte du rôle prépondérant que jouait, ce que j'appelle maintenant le CONTEXTE FAVORABLE dans nos mises en action "individuelles".
J'ai un entourage compréhensif et soutenant ou du moins même s'il critique et / ou ne comprends pas mes choix, peut les respecter. J'ai une sécurité financière et professionnelle qui me permet d'explorer différents modes de vie, de consommation, d'alimentation, de déplacement etc ... sans risques. J'ai un capital culturel qui me permet d'analyser rapidement les informations complexes et d'avoir accès à une culture qui m'aide à penser de nouveaux horizons. Je fais partie d'une classe sociale où je suis potentiellement entourée de personnes avec un niveau de conscience et des aspirations similaires et me sens dans une sécurité affective me permettant d'avoir confiance en mes propres choix. Cerise sur le gâteau, je vis dans un endroit où des changements collectifs ont déjà été mis en place ou peuvent l'être facilement. Enfin je ne subis pas d'oppressions systémiques qui influencent mes choix, je me sens "en droit" d'être pleinement qui je suis et de diriger ma vie comme je l'entends.
Bref ! J'ai un ou plusieurs privilèges ci-dessus qui inconsciemment, me permettent de changer des aspects significatifs de ma vie, sans risque majeur pour ma position sociale. Je dispose d'un CONTEXTE FAVORABLE. Ce modèle n'étant pour autant pas la norme absolue, il est vrai que LE CONTEXTE FAVORABLE, souvent permis par ce que je nomme l'héritage des 3 C : CONNAISSANCES, CAPITAL, CULTURE, existe et permet un certain libre arbitre quant à l'orientation de ses actions, ce qui pour d'autres, peut constituer un véritable défi.
Dans un CONTEXTE FAVORABLE, le soutien collectif est bien souvent invisibilisé car intégré et ne me semble pas décisif, j'agis de moi-même et par moi-même assez facilement.
Dans cette perspective, quand un choix est-il réellement INDIVIDUEL ?
Il n'est parfois pas évident de mettre des panneaux solaires ou d'isoler son bâtiment lorsque l'on vit dans une copropriété, difficile de se mettre au vélo quand on habite dans une zone dépourvue de pistes cyclables, compliqué d'être végétarien quand on ne maîtrise pas la préparation de ses repas au quotidien, ardu de participer à des consultations citoyennes quand on a une carte de séjour ou encore, pas si simple d'appliquer la sobriété énergétique au quotidien quand on est un.e étudiant.e vivant en internat.
Dans un CONTEXTE FAVORABLE, le soutien collectif est bien souvent invisibilisé car intégré.
Le soutien du collectif ne me semble pas décisif, j'agis de moi-même et par moi-même assez facilement. Cependant, évoluer en collectif nécessite un grand travail sur soi et évoluer personnellement demande des liens sociaux encapacitant.
Couper le lien constitutif entre individu et collectif est une méthode d'isolement traditionnelle des régimes oppressifs.
La solidarité est une résistance collective.
LES MARCHES DU POUVOIR
RAPPEL DES PRINCIPES
1 - Sous chaque changement systémique se cache un changement culturel et dans cette optique la distinction ou opposition individuel / collectif n’est pas assez pertinente, ni opérante pour susciter le changement.
2 - Dans un monde traversé d'inégalités et d’oppressions systémiques, dépasser le vécu d’une “impuissance”, nécessite de comprendre, et au besoin de rééquilibrer les rapports de forces existants et leurs traductions culturelles. Dans cette perspective, le changement de culture va de pair avec un processus d’émancipation et inversement. Cet engagement peut prendre n’importe quelle forme artistique, spirituelle, politique et/ou sociale.
4 - La transformation culturelle nécessaire aux changements globaux passe par une prise de conscience et un dépassement des freins systémiques que sont à chaque étape :
1) les biais cognitifs > pour avoir les raisons d'agir
2) les souffrances psychologiques > pour avoir l'envie d'agir
3) les oppressions systémiques > pour avoir la possibilité d'agir
4) les systèmes de gouvernance > pour avoir une culture de l'action !
et par le rééquilibrage des instruments de pouvoir que sont :
LA VISIBILITE, LE CAPITAL (moyens d'actions) et LE RESEAU
L'objectif est de créer/intégrer une COMMUNAUTE où solliciter de potentiels ALLIE.E.S afin de faciliter l'émergence d'un ECOSYSTEME impactant qui fera perdurer de manière systémique les changements mis en place par chacun.e.

DEFINITIONS DES MARCHES et des prémisses du POUVOIR
SAVOIR : Le point sensible de jonction celui d'une prise de conscience vers une possible prise de pouvoir. LE SAVOIR est un processus vers la responsabilité, celui d’admettre que nous ne sommes pas tout puissants et que nous ne sommes pas autosuffisants (accepter le réel et accepter l’autre). SAVOIR n’est pas une accumulation de connaissances mais une expérience réflexive invitant à prendre conscience d’un constat, de l’émotion qu’il provoque et de l’intention qu’il suscite en chacun.e. SAVOIR n’est pas POUVOIR mais la condition possible d’une mise en mouvement.
> cette marche nous amène vers LA RESPONSABILITE
(quand on accepte constat, émotions et qu'on formule une intention)
FAIRE SAVOIR, ne consiste pas en un simple partage intellectuel d’« informations » mais à la mise en VISIBILITÉ d’un constat, d’une émotion et/ou d’une intention. L’objectif n’est pas de “mettre au courant” mais bien de (SE) MOBILISER avec une communauté autour d’une vision du réel partagée.
« Le rapport au réel, c’est ce qui définit la possibilité d’un espace commun,
il s’agit donc d’un enjeu fondamental dans toute société »
Gerald Bronner dans « la démocratie des crédules »
> cette marche nous amène vers L'AUTORITE
(elle nous est prêtée, c'est une forme de reconnaissance donnée par autrui, en lien avec l'importance qu'ils donnent au sujet et notre capacité à le "maîtriser", le transmettre avec une intention pour faire avancer la communauté).
"L’exercice de l’autorité doit être compris comme la vocation à accroître la puissance d’agir des citoyens,
c’est-à-dire leur pouvoir d’être cause de leur propre existence
et cause, chacun pour leur part, de celle de la communauté."
Spinoza
FAIRE n’est pas être en action de construction et/ou d’innovation. C’est une EXPLORATION de ses propres capacités, de nouvelles manières de faire et d’être (nouvelles pour soi-même mais que d'autres peuvent avoir expérimenté avant nous, car on ne part jamais de rien et l'altérité est inspirantion), un moment de dépassement qui peut aussi consister à FAIRE silence, FAIRE une pause à NE PAS FAIRE.
> cette marche nous amène vers LA PUISSANCE
(par la mutualisation de nos moyens d'action par exemple qui nous permettent à chacun.e d'avancer plus facilement vers la maîtrise de ses propres capacités)
"L’adhésion des individus à la communauté
est directement liée à la puissance dont ils disposent au sein de celle-ci."
Spinoza
FAIRE FAIRE ne doit pas être compris dans un sens autocratique ou prescriptif. C’est une étape de facilitation / coopération où l’individu se met AU SERVICE DE… Pour un individu privilégié, cela peut consister en un rééquilibrage de son propre pouvoir. Pour que les autres puissent FAIRE, il faut alors volontairement LAISSER FAIRE.

NARRATIF ET COMPLEXITE
LA COURBE DU RECIT, fondée sans données statistiques, schématise un processus. Il ne doit pour autant pas être réduit à une vision simpliste d’origine intuitive ni présenté comme un outil théorique abstrait à valeur universelle. Il est le fruit d’une réflexion théorique sourcée, d’une praxis et du croisement de plusieurs modèles pré-existants. Elle ne doit pas être présentée comme une simple bascule culturelle résultant du passage direct et systématique, d’une prise de conscience à une prise de pouvoir sur les récits.
De même les MARCHES DU POUVOIR ne sont pas une simple “méthode” de passage à l’action collective. Elles peuvent être utilisées pour inspirer une stratégie du changement et d’accompagnement qui recherche l’impact systémique, mais invitent avant toute chose à se placer dans une démarche réflexive qui légitime nos émotions, questionne notre position sociale et notre parcours personnel pour faciliter l’action. La simplicité des mots utilisés ne doit pour autant pas occulter la réflexion soutenant leur utilisation. Par ailleurs, une attention particulière doit être apportée à leur interprétation.
Attention, la courbe du récit n'est pas un graphique "scientifique", c'est juste une modélisation de pensée. Il est important de prendre du recul en imaginant nos différentes courbes biographiques se croiser, car aucun.e de nous n'est isolé.e dans son processus de changement. Quand je change la culture, quelqu'un cultive le changement en parallèle. Quand j'accepte des responsabilités, d'autres deviennent plus autonomes dans le même temps, quand je mobilise, d'autres agissent, etc... Il n'y a donc pas d'abcisse ni d'ordonnées aux trajectoires créatives de chacun.e, juste une forme commune, construite dans un mouvement qui trouve sa source dans un élan partagé et organique.
J'aime beaucoup par ailleurs présenter le processus du changement en atelier sous la forme du triangle du changement qui m'a été inspiré du triangle du respect de Florence Renaux qui montre le processus croisé de nos transformations comme une alternance, une résonnance entre le personnel et le participatif.


Appel de Saul Alinsky :
Ne vous découragez jamais, l’histoire de l’humanité est pleine de surprises et de rebondissements ; ne fuyez pas la réalité, regardez là bien en face, étudiez-là pour trouver des brèches subversives ; prenez conscience de vos atouts : issus des classes moyennes, vous êtes les mieux placés pour comprendre leurs préoccupations, leurs langages, leurs aspirations ; rapprochez vous des organisations existantes, les associations de consommateurs, les mouvements féministes, écologistes, civiques ; aidez ces organisations à acquérir davantage de pouvoir, utilisez au maximum cette possibilité que nous avons encore, dans nos démocraties restreintes, de pouvoir nous organiser, de repousser les limites de la loi, d’obliger les autorités à composer avec vous ; n’oubliez jamais qu’une fois que les personnes sont organisées pour lutter sur un problème aussi banal que la pollution, elles peuvent ensuite s’attaquer à des questions beaucoup plus importantes ; augmentez patiemment la radicalité des actions, appuyez-vous sur les réactions répressives des autorités pour remettre en question tous les systèmes d’oppression qui affectent l’ensemble de la société ; unifiez les organisations locales au niveau national et international ; construisez patiemment les bases d’une organisation politique solide, autogérée et durable ; n’oubliez jamais qu’une vraie révolution commence quand elle est dans le cœur et l’esprit de la population ; les classes moyennes sont engourdies, désemparées, épouvantées, stressées, introduisez de l’action et de l’aventure dans cet univers morne et triste ; et, enfin, insistez inlassablement sur le fait que l’entraide est raisonnable et subversive, qu’on ne peut plus vivre sa vie dans son coin, ne se préoccuper que de son bien-être personnel sans se soucier de celui des autres, que si nous ne nous saisissons pas collectivement des problèmes mondiaux, nous allons vers la barbarie.
Saul Alinsky
